Art Brancusi l’atelier de l’épure au centre Pompidou

Art Brancusi l’atelier de l’épure au centre Pompidou .L’exposition retrace la geste du sculpteur vers la fluidité et la pureté comme elle reprend son jeu avec les matières ou les reflets. L’ensemble infuse depuis l’atelier, physique et suggéré. La réflexion autour du genre, l’importance de la nature et de l’animal inscrivent par ailleurs l’œuvre dans notre époque. Éblouissant !

Le centre Pompidou présente la première exposition rétrospective Brancusi (1876-1957) en France, et la seule, depuis celle de 1995. Elle donne à voir plus de cent-vingt sculptures et quatre cents œuvres. La scénographie comprend onze temps. La blancheur, les sources, la ligne de vie, l’atelier, le féminin-masculin, les portraits, l’envol, le lisse et le brut, le reflet et mouvement, l’animal, le socle du ciel.

La quête de l’épure et de l’essence du mouvement

Constantin Brancusi dans son atelier

À l’entrée un coq blanc ouvre un passage noir où s’étalent photographies géantes de l’atelier de la rue Ronsin à Montparnasse (Paris 14). Les murs sont piqués de témoignages. L’atelier était en effet fréquenté par la plupart des artistes et de l’intelligentsia de l’époque. Un hot spot arty. Loin de la campagne roumaine que le jeune artiste a quitté pour faire des études d’art à Bucarest avant de traverser l’Europe à pied pour rejoindre Paris en 1904.

Brancusi Les Coqs

Ensuite règne le blanc avec une nouvelle fois les Coqs. Un changement d’atmosphère radical. La clarté en regard de la verticalité. Au bord de l’éblouissement et de la rupture. Man Ray parle de de l’atelier comme d’une cathédrale et de son impression de pénétrer dans un autre monde.

Constantin Brancusi est considéré comme le père de la sculpture moderne. Un cheminement. “À partir de l’émotion de la lumière nous avons voulu montrer comment Brancusi était devenu Brancusi” explique la commissaire Ariane Coulondre.

sculpture le baiser de BRANCUSi en regard la sculpture aux influences cubistes de derain
À gauche Le baiser 1907 en regard de L’homme accroupi de Derain 1907

Après des études aux Beaux-Arts de Paris, Brancusi travaille avec Rodin à Meudon. Mais je jeune artiste a soif de reconnaissance. Or “Rien ne peut pousser à l’ombre des grands arbres” selon sa célèbre formule. Il rompt avec la science du modelage et s’attache alors à la sculpture à la taille. ” La revanche de la grâce sur la force” estime Ariane Coulondre. On découvre l’iconique “Le Baiser”, une déclaration d’indépendance où l’amour s’inscrit dans la pierre en un bloc. Un thème qu’il reprendra de manière de plus en plus stylisée et dans des formats divers notamment dans des portes. Le Baiser est mis en regard avec les recherches cubistes d’André Derain.

Les têtes et les œufs : épure et abstraction

Série Mademoiselle Pogany 1912-1913 …

Car Brancusi est évidemment influencé par son époque. Il fréquente Le Louvre comme le musée Guimet. L’exposition montre ainsi des statues africaines dont l’épure a indéniablement frappé le sculpteur. Il côtoie par ailleurs Modigliani, Duchamp, Léger. L’évolution artistique de Brancusi est saisie par une suite d’œuvres du Buste d’enfant à la sculpture de l’œuf. Un voyage vers l’abstraction et l’épure.

Têtes travail vers l’épure et l’abstraction

Cette quête rayonne dans le travail les têtes. Des portraits réalisés d’après nature. En l’occurrence à partir de modèles, muses ou amies. Ce sont les iconiques “La Muse endormie” avec le baronne Frachon ou encore la série des “Mademoiselle Pogany”. Les détails s’effacent, la matière polie devient presque miroir. Brancusi cherche également à aller au delà des apparences. Du spirituel dans l’art ou la recherche de l’essence.

Brancusi Le commencement du monde 1924 Reprise de La muse endormie et simplification pour ne garder qu’un ovale

Les oiseaux : la quête du l’essence du mouvement et de l’envol

Oiseaux dans l’espace 1936 Brancusi

Car l’essence du mouvement est aussi une recherche centrale. S’affranchir de la pesanteur, s’égayer. “Le vol, quel bonheur !” s’exclame le sculpteur. Le motif de l’oiseau comporte plus de trente variantes en marbre, bronze, plâtre. Il occupe l’artiste pendant trois décennies. Depuis 1910 avec les “Maïastras”, les oiseaux des contes roumains jusqu’aux sculptures effilées à l’extrême des “Oiseaux dans l’espace”. Mais cette quête de l’envol ne signifie pas un rejet de la matière. “Bois, pierre, marbre, métal, il existe une continuité entre l’œuvre, la matière et sa représentation” insiste Ariane Coulondre. L’intégration des supports à l’œuvre connaîtra une grande postérité. L’exposition met en avant le jeu sur les socles, les hauteurs et les matériaux.

Reflets et mouvement

Brancusi Léda 1926

“Leda” est peut-être l’œuvre la plus troublante de cette quête du mouvement et de l’épure. Dans une enclave noire, un cygne tourne sans fin diffusant les reflets du métal de bronze poli à la fois sur le public et sur la plaque qui le porte. Le dispositif abolit les frontières entre l’œuvre et l’espace où elle se déploie à travers un jeu de reflets. De même qu’elle questionne le mouvement dans sa dimension philosophique et/ou mystique – le cercle, l’éternel retour.

Brancusi joue avec les effets de miroirs. Le bronze infiniment poli devint miroir, se démultiplie.

Brancusi : mélomane, photographe-scénographe et auteur de 10 000 lettres

Le travail du bois – vue sur l’atelier : Brancusi n’a jamais fait de hiérarchie art -artisanat

Au début de l’exposition on passe du noir au blanc. Peut-être une réflexion sur la lumière. L’exposition fait en effet la part belle à la photographie. Man Ray a “initié” Brancusi. Ensuite le sculpteur a pris en main l’appareil comme un outil. “La photo était pour Constantin Brancusi le moyen de réfléchir à la manière de positionner ses sculptures” précise la commissaire Ariane Coulondre “Plus tard il acheta une caméra. “En regardant la vidéo sur la colonne sans fin, on voit qu’il cadre en haut en bas, tourne autour de l’œuvre, la filme sous tous les angles et l’immerge dans les éléments”.

Autre découverte : les lettres. Brancusi écrivait beaucoup. À d’autres artistes, aux collectionneurs. On parle de 10 000 lettres. Mais surtout on prend conscience de l’importance de la musique. Le sculpteur écoutait du jazz, du Satie, les musiques du monde et bien sûr de Roumanie. En revanche il n’a jamais travaillé pour des ballets comme l’a fait son ami Fernand Léger. Toutefois “Dans son atelier on pouvait voir des petites pièces de danseuses” note Ariane Coulondre. Un regard sur le corps en mouvement.

Brancusi au XXI e siècle : genre, environnement, mythologie

Brancusi ne voulait pas être à la mode. Car la mode passe. Lui aspirait à une œuvre intemporelle. Toutefois ses créations s’ancrent par certains aspects dans l’époque.

Brancusi Colonnes sans fin 1938

Mircea Eliade, le grand historien des religions, roumain comme Brancusi, a beaucoup écrit sur le thème du lien entre ciel et terre. Le lien entre les mondes est souvent incarné par un arbre ou un pilier. Chez Brancusi “La colonne sans fin”, sorte de socle du ciel, pourrait être mise en regard avec ce lien et s’ancrer une certaine éternité de la mythologie. Le profane et le sacré, la mort. “La colonne sans fin” s’inspire en effet de piliers funéraires du Sud de la Roumanie. Ceci même si les créations témoignent avant tout du désir de l’artiste de réaliser des œuvres monumentales. En fin de parcours, l’exposition montre différentes versions de la colonne. Notamment celle installée chez son ami Edward Steichen à Voulangis (Seine-et-Marne). Il réalise par ailleurs un axis mundi de trente mètres de hauteur pour le village de Targu Jiu (Roumanie) en 1937-1938.

La mythologie est par ailleurs présente avec Leda, les “Maïastras”, les oiseaux fabuleux des contes roumains, et les phoques qui évoquent des sculptures inuits Avec les mythes Brancusi colle à un XXIè siècle qui questionne les héritages notamment les croyances.

Androgynie

Brancusi Princess X 1915-1916

La question du genre est aujourd’hui incontournable. Constantin Brancusi l’a traitée en précurseur. Certes dans un contexte artistique, celui des dadaÏstes. Les œuvres les plus célèbres restent avec Princesse X, les bustes de garçons et indirectement Leda figure féminine alors qu’elle était masculine dans le mythe antique. Princess X est un monument d’ambivalence. Selon les angles elle montre un phallus en majesté ou une tête de femme hyper stylisée reposant sur son bras. Elle a déclenché un scandale au Salon des Indépendants de 1920, alors que Brancusi avait été “refusé” dans des conditions analogues au Salon d’Antin. Le travail vers la pureté de la forme est stupéfiant comme d’ailleurs les effets de lumière sur l’interprétation.

Animaux et nature

Nature et Colonnes sans fin

Brancusi quitte la Roumanie il y a 120 ans pour rejoindre Paris alors capitale des arts. La campagne roumaine, nature et animaux, reste toutefois très présente dans son œuvre. Une présence qui résonne avec les préoccupations contemporaines sur l’environnement et la biodiversité. Les animaux aquatiques comme les phoques et les animaux “à ailes” comme les coqs et les oiseaux parlent de fluidité et d’épure. Ainsi en supprimant pattes et les ailes, l’artiste recherche l’essence de l’animal : l’envol. Mais le chant du coq est aussi une figuration symbolique de l’éternel recommencement de la nature. Et d’une manière générale le bestiaire inscrit les animaux dans leur milieu, la nature.

Brancusi Les phoques 1943

Photo principale : La muse endormie 1910

INFOS

Brancusi l’art ne fait que commencer

Centre Pompidou

27 mars – 1 juil. 2024
11h – 21h, tous les lundis, mercredis, vendredis, samedis, dimanches
11h – 23h, tous les jeudis

Fermé le mardi et le 1er mai

Réservation fortement recommandée

Galerie 1, niveau 6

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