Livre : les Leçons de Ian McEwan

Livre : les Leçons de Ian McEwan . Entre roman d’apprentissage et fresque historique l’écrivain britannique questionne le succès et l’écriture autant que les violence sexuelles et le déterminisme social.

Le dernier opus de l’écrivain britannique délaisse, presque, le monde de la déviance pour des mémoires assez sages. Mémoires – ou anti-mémoires- et roman d’apprentissage à la fois. Roland Baines, son héros, perd sa femme qui le quitte pour l’écriture en lui laissant leur bébé. Un moment qui le plonge dans ce qui l’a forgé. Où plutôt a ruiné ses potentialités. Ian McEvan navigue alors entre passé et présent intriquant éléments biographiques et fictions et ponctuant le récit de notes noires et blanches, croches déchirantes et clés de joie.

Crises internationales et éducation sentimentale

Ian McEwan est un pré-boomer qui a par conséquent traversé tous les conflits et révolutions sociétales et technologiques de la deuxième guerre mondiale à aujourd’hui.

Dans Leçons il en restitue le contexte et l’atmosphère. Plus, il en fait des déclencheurs. La deuxième guerre mondiale lui fait découvrir, dans un camp de Libye, un sentiment d’insouciance et de liberté loin de la pesanteur familiale. Cette parenthèse, Roland Baines ne cessera de vouloir la récréer. Plus tard, la crise de la baie des cochons de 1962 et l’imminence d’une guerre nucléaire pousse le jeune Baines à rejoindre sa professeure de piano pédophile. Surtout ne pas mourir avant d’avoir connu le mystère de la copulation. La crise des missiles de Cuba comme déclencheur d’une éducation sentimentale et sexuelle. Pas si commun. Tchernobyl coïncide avec la fuite d’Alissa, sa femme, et le début de sa parentalité. Le passage dans un Berlin où le mur s’écroule et où il retrouve sa femme rappelle que l’écrivain a aussi une patte dans le cinéma.

Looser paisible : Ian McEwan en influenceur Petit Bambou

Roland Baines est l’opposé de l’écrivain à succès. Après des études médiocres, il s’essaie au journalisme, à la photo, à l’écriture, il s’installe finalement dans la routine des piges et d’un travail de pianiste d’hôtel. Sa vie est une succession de monogamies. Sauf avec Daphné sa dernière compagne vaincue par le cancer. Bref rien de reluisant. Tout sauf une success-story. Mais voilà, l’itinéraire de cet enfant malmené Ian McEwan le revendique justement comme un succès. Car Roland se construit à travers une famille recomposée, solide et aimante et n’aspire plus qu’à égayer son public de salon de thé. La paix, la sérénité du papy loin du bucher des vanités. À fa fin du roman du moins. Ian McEwan en mode Petit Bambou, l’appli zen, c’est assez surprenant. À moins que l’écrivain ne s’inscrive dans la quête de sens post Covid.

La question du consentement

Si Roland Baines traverse une vie chaotique c’est à cause de leçons de piano. À onze ans il est en effet victime d’attouchements par Miriam Cornell sa professeure. À treize ans elle l’initie au sexe auquel il devient accro. Il délaisse alors études, amis, jazz, tout ce qui n’est pas Miriam. L’emprise est totale. Il se laisse « enfermer » une semaine, en pyjama. Adulte, alors que la police enquête justement sur des soupçons de pédophilie, Roland retrouve Miriam. Il la juge mais ne la dénonce pas. Un pardon qui ressemble à une fuite. Ou bien à une force, celle de briser tout lien. Ou encore à un destin. Car s’il n’avait été abusé il n’aurait pas eu ce qui le comble. Son fils, sa famille recomposée … À débattre. Avec en arrière-plan le déterminisme social et la question de l’aléatoire des choix de vie.

Écriture et féminisme

Les Leçons oscillent entre Mémoires et les anti-mémoires car Roland Baines héros sans qualités est très loin de l’itinéraire glorieux de l’écrivain. On le répète oui. Elles questionnent l’écriture avec justement fictions et emprunts à la vie de McEwan : l’Angleterre, l’Allemagne, les voyages. Comme le fait Alissa qui décrit son mari comme quelqu’un de violent qu’elle fuie pour écrire afin en paix. C’est faux. Oui mais c’est l’inconscience des écrivains estime l’agent de celle-ci. Et les emprunts revisités à la vie personnelle selon Alissa.

Alissa Eberhard fuit donc pour écrire. Avec Roland et le bébé elle aurait sombré sans jamais construire une œuvre. Comme sa mère avant elle. Du moins le pense-t-elle. Ian McEwan en profite pour questionner les archaïsmes et le patriarcat. Un homme qui abandonne tout pour écrire est pardonnable mais dans le cas d’une femme c’est une monstruosité.

À travers l’œuvre d’Alissa, Ian McEvan interroge l’écriture, la vie, les conventions et l’histoire. Il parle de quête de phrase parfaite à la Nabokov alors que la vie de Roland est un chaos au regard des conventions et que son anti héros s’est lui-même trouvé dans la peau d’une Lolita. Il évoque un souffre tolstoïen dans les fresques historico-familiales de l’autrice alors que Roland crayonne le quotidien dans des carnets à la manière de l’homme sans qualités de Musil.

Ce roman de près de 750 pages peut se lire comme la somme fictionnée d’une vie. On espère que ce n’est pas le testament littéraire de Ian McEwan qui nous a habitué à plus de fantaisie.

INFOS

Leçons

Ian McEwan

Éditions Gallimard

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