Roman Chimamanda Ngozi Adichie fait l’Inventaire des rêves

Roman Chimamanda Ngozi Adichie fait l’Inventaire des rêves. Ceux de quatre femmes africaines affranchies qui opposent leur désirs aux impératifs de la société. Avec un bilan aigre doux, des itinéraires chaotiques et un champ des possibles qui reste toutefois ouvert. Un grand livre au féminisme piquant et humaniste.
Douze ans après Americanah, la grande écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie publie L’inventaire des rêves, son quatrième roman.
En ouverture, l’apparition du corona virus. En final, la fin du confinement. Entre les deux, plus de 600 pages sur les vies croisées de quatre femmes. Un bilan de vie, un inventaire des rêves en écho au temps de pause et d’introspection du Covid19. Peut-on mettre en parallèle la surprise, l’incompréhension, la peur que suscitent ce nouveau virus avec celles qui entourent les choix des protagonistes ? Peut-être. Chacune en effet s’affranchit autant des voies toutes tracées que des diktats. Chacune est puissante, chacune est à sa façon un role model, aucune n’est une sainte.
Les affranchies
Chimamanda Ngozi Adichie décline son féminisme aussi piquant que subtil à travers ces caractères forts et sans doute complémentaires. Tout d’abord l’héritière huppée de Lagos, la sublime Chiamaka aux allures de sculpture, qui quitte sa famille pour les États-Unis afin de devenir écrivaine. Puis sa cousine Omelogor à l’esprit aussi aiguisé que la langue. Financière redoutable, elle blanchit l’argent sans état d’âme. Elle est riche, elle est indépendante. Elle aide par ailleurs les femmes à monter de petites entreprises. Ensuite Zikora, avocate brillante qui doit affronter les « voleurs de temps », ceux qui ne la calculent ni comme épouse ni comme mère. Enfin Kadiatou la paysanne qui a rompu avec sa famille pour l’Amérique dans l’espoir d’une vie meilleure. Le rêve d’un salaire correct et d’études universitaires pour sa fille, Binta.
Les rêves des mères les rêves des filles
Dans la postface Chimamanda Ngozi Adichie écrit que son objectif était d’explorer les liens mère-fille afin de se confronter au chagrin immense de la perte de sa propre mère. Le rapport à la mère permet peut-être aussi de faire « L’inventaire des rêves » sous un autre angle. La mère de Chia la tourmente sur le mariage et la maternité. Un point sensible car l’écrivaine voyageuse enchaine les déceptions. Comme d’ailleurs Zikora, dont le compagnon fuit la paternité alors que sa mère voyage depuis Lagos. Omelogor aussi s’interroge sur le sens de la vie après une pique de sa tante. Katiatou enfin élève sa fille dans l’esprit de sa sœur morte. Les mères dans le livre de Chimamanda Ngozi Adichie incarnent à la fois le poids des traditions dont on doit s’affranchir pour suivre ses rêves et un ancrage affectif puissant.
Rêves et chaos
Entre les trois nigérianes aisées et Kadiatou, la modeste guinéenne, le lien est plus proche de la sororité. Katiatou à laquelle s’attache particulièrement Chimamanda Ngozi Adichie. Avec laquelle elle développe sa propre sororité. Le portrait de la paysanne peule devenue femme de chambre est directement inspirée de Nafissatou Diallo violée en 2011 au Sofitel de New York par Dominique Strauss-Kahn alors directeur du FMI.
Les chemins de vie des autres femmes sont moins violents mais les itinéraires s’avèrent parfois rudes. Omelogor fait une dépression, la vie de Zikora est en vrac après le départ du père de son fils. Chiamaka ne se remet pas vraiment de son premier amour, le brillant Darnell. L’occasion pour Chimamanda Ngozi Adichie de décocher ses flèches en direction des universitaires arrogants et des progressistes à l’esprit étroit. Comme elle le fait pour les milieux financiers nigérians corrompus.
Épopée servie par une langue savoureuse et précise
Dans « L’inventaire des rêves », la langue est aussi créative que précise. On retient notamment les variations autour de la palette de noirs, de « noirs au teint gris » à « myrtille ».
Elle l’est dans le léger, le life style comme dans le profond, l’abject et le viscéral.
Omelogor décrit les soirées au Oud (herbe) aussi bien que les fleurs « Mon ixora a donné des fleurs d’une rouge splendide, une floraison pareille à un chant« . Chiamaka ressent les villes « Il y avait des villes que j’aimais dès mon atterrissage, des villes aux bras grands ouverts avec lesquelles j’étais certaine de pouvoir nouer une amitié, d’autres qui ne me faisaient ni chaud, ni froid, et d’autres encore qui me brûlaient d’une telle animosité que j’ignorais que je n’y retournerais jamais, je le savais« . Toutes s’attachent aux saveurs de la cuisine. Chimamanda Ngozi Adichie insère d’ailleurs dans son glossaire une liste de plats et de boissons. De l’abacha (salade à base de manioc) à la foléré (soupe de feuilles) en passant par le foufou (pâte faite à partir de farine de manioc fermenté, d’igname ou de banane plantain) ou encore par le moi-moi (pouding nigérian). Des plats igbos (minorité chrétienne du Nigeria), nigérians, africains mais aussi américains.
Leçon d’écriture créative
À l’autre extrémité du spectre il y les miasmes et les douleurs et l’accouchement.
« C’était une chose qui ressemblait à de la douleur tout en s’en différenciant, qui se propageait de son dos à ses cuisses, puis la déchirait en deux – brutale, accablante, dépourvue de tout repentir. On se serait cru dans l’Ancien Testament. Un fléau. Son corps abandonné, une tempête primitive qui se déchaînait à sa guise« .
Et surtout l’excision et supplice du viol. Celui de Katiatou. Dans sa postface Chimamanda Ngozi Adichie donne une leçon d’écriture créative.
« Le récit que Nafissatou Diallo a fait de l’agression, m’a paru sacro-saint. Cette agression même est après tout la raison pour laquelle elle est devenue une figure politique, une personne dont il a tellement été question dans les médias qu’elle pourrait inspirer un personnage de roman. Il me semblait que la scène de l’agression telle qu’elle l’avait décrite était le germe autour duquel mon imagination se déplorait. C’est la seule partie de l’Inventaire des rêves où je reste le plus proche possible de l’évènement tel que Nafissatou l’a relaté (…) Les scènes qui suivent l’agression ne se fondent que sommairement sur les faits. (…) Tout comme le paysage de sa vie affective. L’écriture créative échoue lorsqu’elle ne s’attaque pas au sommet affectif. J’ignore ce que Nafissatou Diallo a ressenti parce qu’il m’est impossible de le savoir, mais je peux l’imaginer en racontant la vie d’un personnage fictif, puis inviter les lecteurs qui le souhaitent à se joindre à ce geste, lui rendant sa dignité« .
L’inventaire des rêves a des allures de livre monde avec des longueurs, des récits plus forts que d’autres (Katiatou, Omelogor) compensés par un décentrage et un féminisme qui fait mouche.
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L’inventaire des rêves
Chimamanda Ngozi Adichie
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